Le toucher, l’un des cinq sens chez l’être humain, est le premier à se développer in utéro chez le fœtus mais également le dernier à s’éteindre à la fin de nos jours. Quel est ce sens qui nous suit toute notre vie ? Quelle est son importance dans la vie quotidienne des bébés et des parents ? Prenons le temps de redécouvrir ce sens que l’on délaisse en cette période de pandémie mondiale comme un signe de protection.
Qu’est-ce que le toucher ?
Selon le Petit Larousse, le verbe « toucher » est défini ainsi : « Mettre sa main, ses doigts au contact de quelque chose, de quelqu'un, en particulier pour apprécier, par les sensations tactiles, son état, sa consistance, sa chaleur, etc. » Le toucher inclut donc plusieurs sensations tactiles : la pression, la douleur, la température et les mouvements musculaires. Nous allons ici principalement aborder « le toucher » comme contact entre deux personnes.
Le toucher est le sens le plus étendu de la peau, il est donc inséparable de cet organe. La peau, quant à elle, constitue environ 18 % de notre corps, elle est également l’organe le plus important du corps par sa masse. Elle est en permanence en contact avec l’environnement extérieur et n’a aucun système de fermeture, comme la bouche ou les yeux. Elle est, selon Tiffany Field, « notre sens le plus social ». Ainsi, le toucher est un moyen de communication avec l’environnement matériel et humain qui nous entoure. Alors qu’aujourd’hui le toucher est mis à l’écart par le coronavirus, car une distanciation constante nous est imposée, il nous faut rappeler que la peau nous protège contre certaines agressions de l’environnement comme les températures extrêmes, la douleur, etc.
La surface de la peau contient une multitude de récepteurs sensoriels recevant des stimuli de chaud, de froid, de contact ou encore de douleur qui mettent en action des fibres nerveuses. Récemment, des fibres C-tactiles (CT) ont été localisées notamment dans notre « peau pileuse », c’est-à-dire notre peau ayant du poil, particulièrement le dos et les avant-bras. Elles seraient activées par des caresses ou un contact délicat d’une pression de moins de 5 millinewtons, soit l’équivalent d’une carte postale sur la peau. Les fibres CT seraient davantage liées aux émotions du toucher et qu’à ses caractéristiques physiques. On parle alors d’un toucher émotionnel et cela expliquerait en partie le développement du lien mère-bébé dès la naissance.
Mais, le toucher est un sens qui varie en importance dans le monde. En effet, chaque société a une relation au toucher différente. Par exemple, les américains et les anglais sont des populations où l’on se touche moins, contrairement à certains peuples africains et asiatiques où le toucher a toute son importance dans la vie quotidienne. Frédéric Leboyer nous en donne l’exemple en Inde avec son ouvrage Shantala, dans lequel il présente les mouvements de massage pour bébés. Chaque individu peut donc avoir une relation distincte au toucher, qui varie en fonction de divers facteurs : sa culture, son éducation, ses expériences et les touchers qu’il a pu recevoir au cours de son enfance.
Plusieurs études ont permis de mettre en avant le rôle fondamental du toucher pour les enfants et leur développement autant physique que psychique. Dans les années 1940, René Spitz (1887-1974), psychiatre et psychanalyste américain, a montré à quel point la relation affective, notamment par le contact physique, le toucher émotionnel, est un besoin vital chez l’enfant, grâce à une expérience avec des nouveau-nés accueillis dans un orphelinat et des nouveau-nés élevés en prison par leur maman. En effet, dans l’orphelinat, même si les enfants étaient nourris, propres et dormaient dans des berceaux, le manque de contact et de relation affective observé avec l’adulte a eu des conséquences dramatiques sur le développement des enfants au cours de leurs trois premières années de vie : un arrêt de croissance chez certains enfants, l’apparition de comportements répétitifs de bercements, etc. ; alors que les bébés élevés par leur mère en prison ont eu un développement comparable aux enfants élevés dans une famille lambda, à la maison. D’autres études ont également mis en avant l’importance de la relation affective, notamment Harry Harlow (1905-1981), psychologue américain, qui dans les années 1960 a effectué une série d’expériences avec des singes macaques rhésus nouveau-nés. Il les a isolés dans des cages où se trouvaient deux substituts maternels : une « fausse mère » en métal, froide mais proposant un biberon de lait ; et une deuxième « fausse mère », cette fois-ci en peluche et semblable à un singe macaque adulte, chauffée mais ne proposant pas de biberon. Les résultats ont montré que les bébés singes se dirigeaient principalement vers la peluche, donc vers le contact chaleureux, plutôt que vers le biberon. Ils préféraient donc sacrifier leur besoin primaire de nourriture contre un peu de chaleur et une sécurité affective.
Les enfants n’ont donc pas seulement besoin que l’on réponde à leurs besoins primaires, mais ils ont besoin pour grandir de contacts affectifs et de création de liens d’attachement. Comme le décrit si bien Frédéric Leboyer : « Être portés, bercés, caressés, être tenus, être massés, autant de nourritures pour les petits enfants »[1].
Quelle place pour le toucher pendant la grossesse ?
Le toucher est le premier sens à se développer in utéro, vers la 7ème, 8ème semaine de gestation. Le fœtus baigne dans le liquide amniotique et il reçoit un massage constant de ce liquide mais également des organes de la maman qui l’entourent. Par ailleurs, au cours de sa vie intra-utérine, le fœtus tête son pouce, il joue avec son cordon ombilical, il donne des coups de pieds, etc., toutes sortes d’actions qui utilisent le sens du toucher.
Pendant ce temps-là, certains parents vont participer à des séances d’haptonomie, comme préparation à la naissance, notamment à partir du 4ème mois de la grossesse lorsque la maman commence à percevoir les mouvements de son bébé. Cela leur permet d’entrer en interaction avec leur bébé in utéro par des caresses, des contacts, donc par le toucher.
Toujours pendant la grossesse, certaines femmes vont avoir recours à des médecines douces comme l’ostéopathie, la réflexologie plantaire ou encore l’acupuncture pour diminuer certains inconforts de la grossesse mais également parfois pour favoriser le déclenchement de la naissance. Toutes ces médecines douces ont comme point commun d’utiliser le toucher pour favoriser un bien-être.
Finalement, la grossesse est une période au cours de laquelle le toucher a une place prépondérante, car on a tendance à se caresser le ventre ou à interagir avec notre bébé lorsqu’on le sent bouger. On se masse également souvent le ventre avec des crèmes pour éviter ou du moins diminuer le risque de vergetures. Certaines femmes se massent également le périnée pour faciliter l’ouverture et diminuer le risque de déchirure à la naissance de bébé, notamment vers la fin de la grossesse. C’est le début d’une communication tactile et émotionnelle avec bébé.
Quelle place pour le toucher pendant l’accouchement et à la naissance de bébé ?
Le toucher conserve une place fondamentale pendant l’accouchement que ce soit pour la maman ou le bébé. En effet, lors de la phase de travail actif et de la poussée, il est possible au partenaire ou à l’accompagnant(-e) de réaliser des mouvements de massage à la maman, ou des points de pression diminuant la douleur. De plus, caresses, bisous, sensualité sont les bienvenus pour encourager la libération d’ocytocine qui elle-même favorisera les contractions utérines permettant la naissance de bébé. Il est donc important que la maman créé « une bulle » dans laquelle elle se sente bien.
Par ailleurs, Ashley Montagu compare la naissance du bébé mammifère qui se fait lécher par sa mère à la naissance, à l’accouchement voie basse au cours duquel le bébé descend dans le bassin de sa maman avant de naître. Il affirme que ce chemin serait l’équivalent du léchage du bébé mammifère puisque le bébé humain est massé tout au long de sa descente et les contractions utérines permettent de favoriser son système respiratoire.
Il est aussi important de noter qu’à la naissance le bébé né immature. Il naitrait prématuré d’environ 12 mois si on le compare aux autres mammifères, d’où l’importance de plus en plus mise en avant de prendre soin des nouveau-nés et d’être en contact physique et émotionnel avec eux. Encore là, Ashley Montagu indique que le bébé « passe de l’utérogestation à l’extérogestation dans une relation avec sa mère », qui est la majorité du temps sa première figure d’attachement. Le parent accompagne son enfant dans son adaptation à son nouveau milieu de vie en étant le plus sécurisant possible, notamment en pratiquant le peau à peau où en le portant pour avoir un contact direct avec lui et lui faire revivre certaines perceptions sensorielles qu’il a connu in utéro : les battements du cœur, les bercements et mouvements, le son de la voix et le contact de la peau. Certains qualifient d’ailleurs le porte bébé/écharpe d’« utérus avec vue ». La grossesse se poursuit alors hors utérus, bébé étant totalement dépendant de l’adulte pour sa survie et son bien-être. Par ailleurs, le vernix caseosa qui est une substance blanchâtre couvrant la peau de bébé à la naissance est d’une importance considérable puisque in utéro, il isole la peau et la protège d’une certaine macération. Puis à la naissance, cette substance le protège du froid en étant également un isolant. Il est donc conseillé d’éviter de donner un bain au bébé dans les premiers jours afin qu’il conserve cette protection sur sa petite peau fragile.
[1] Leboyer F. Shantala : un art traditionnel, le massage des enfants. Editions du Seuil, 2018.
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